Moniales Dominicaines de Dax
Contemplata aliis tradere

94 ans, alors vieille ? Jamais de la vie…!

Interview avec Soeur Jeanne, moniale dominicaine du Monastère de Dax

Question : Sœur Jeanne, tu viens de fêter tes 70 ans de profession. Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

Sœur Jeanne : Il y a 70 ans je me suis engagée à être toute au Seigneur. Il m’a choisie et je l’ai choisi moi aussi, et je me rappelle les circonstances et le jour où j’ai décidé cela. En 1936, j’avais 6 ans et on parlait à table des troubles sociaux de la France. J’écoutais et j’ai pensé : que puis-je faire ? Je suis trop petite à 6 ans… mais aussitôt l’idée m’est venue : « Seigneur, je me donne à toi ». Jamais je n’ai pensé que cela serait inefficace et je n’ai jamais changé d’idée.

Q. Et comment es-tu devenue moniale dominicaine ?

Le Seigneur m’a fait bifurquer. Je pensais être enseignante, j’ai toujours aimé jouer à la classe avec mes petits frères, voisins et amis. J’étais toujours la maîtresse bien entendu ! Après mon bac je suis partie comme enseignante à La Baule chez des religieuses qui avaient 2 écoles. Entre les cours que je donnais dans les 2 écoles, n’étant pas titulaire d’une classe, j’avais le temps de prier dans la chapelle et j’ai appris l’oraison. Le Seigneur m’a donné le goût, la joie et le sens de la fécondité de la prière. Alors j’hésitais entre les religieuses enseignantes et la vie contemplative. Une fièvre typhoïde m’a empêchée de partir en vacances à la fin de cette première année d’enseignement et j’ai dû me reposer presque un an chez mes parents. Devant mes hésitations entre une vocation d’enseignante et de contemplative, mon directeur spirituel m’a conseillé d’aller voir les dominicaines puisqu’elles ont les deux branches. Je suis allée voir les moniales dominicaines de Nantes et la prieure qui venait du monastère de Lourdes m’a dit : « si vous entrez, ce ne sera pas ici », en effet, après des difficultés liées à l’histoire, les sœurs étrangères allaient repartir dans leur pays et le monastère allait fermer. C’est ainsi que je suis partie à Lourdes et y suis entrée.

Q. Comment ta famille a-t-elle accueilli ta vocation ?

Ma mère, très bien. Pour elle, j’accomplissais la promesse qu’elle avait faite à la Sainte Vierge quand j’avais 2 mois et que la coqueluche a fait craindre pour ma vie. Ma mère a alors fait ce vœu à la Sainte Vierge : « si vous guérissez ma petite, je l’enverrai à Lourdes ». Pour mon père cela a été plus difficile, il n’avait pas fait la promesse, lui. Le jour de mon départ, j’ai vu ses larmes couler dans son café. Cela m’a été très dur.

Q. Comment s’est déroulée ta vie religieuse après ton entrée ?

Je suis entrée au monastère de Lourdes en 1951. Au noviciat, la vie était très dure, les observances n’avaient pas été aménagées, nous avions le lever de nuit, la nourriture manquait, très peu de détente. Je n’arrivais pas à récupérer au niveau de la santé. La maîtresse des novices s’inquiétait pour moi, alors on m’a permis de prendre de la viande plusieurs fois par semaine. Je n’étais pas inquiète de mon côté, même si mon corps peinait. Je disais à la mère maîtresse : « mon âme va tenir ! » Et je n’ai jamais eu l’idée de partir. Après la profession, avec des responsabilités dans les emplois, mon autonomie dans l’organisation de mon travail, j’allais bien, et le régime alimentaire avait été amélioré car nous avions une ferme avec quelques vaches et des cochons.

Q. Quels emplois as-tu occupés ?

J’ai été lingère, procureuse et j’ai ensuite travaillé au noviciat comme sous-maîtresse puis comme maîtresse des novices. Quand j’étais lingère, j’avais du temps pour l’étude le matin : la Bible et Saint Thomas d’Aquin. Après quelques années, j’ai été nommée procureuse, pendant 10 ans. C’était un gros travail professionnel car nous avions des ouvriers agricoles dont je m’occupais ; je faisais les menus en lien avec la responsable du potager, j’organisais le travail de la communauté pour les épluchages et la préparation des conserves et bocaux que je faisais moi-même, je produisais le beurre –avec une barate électrique, c’était plus facile qu’à la maison !– et le fromage. J’étais en pleine forme à cette époque.

Q. Pour quels motifs avais-tu choisi la spiritualité dominicaine ?

Je suis devenue dominicaine par hasard, ce n’était pas prémédité mais ensuite j’ai tout aimé de la vie dominicaine : la prière avec l’office chanté et l’oraison, la vie de communauté, l’étude, la mission. J’ai beaucoup aimé étudier Saint Thomas, la Somme de théologie qu’il a écrite pour aider les novices à mettre tout en ordre. J’en ai goûté l’introduction et ensuite j’ai fait le plan avec les prologues et les enchaînements. J’aime le vocabulaire de Saint Thomas, par exemple la delectatio, qui n’est pas le plaisir ! J’étais latiniste donc je le lisais en latin. J’ai apprécié son approche des vertus, et la vie du Christ, que j’étudiais selon les fêtes que nous célébrions. La première partie de la Somme sur la création, les anges, est un peu plus austère.

Q. Tu n’es pas restée toute ta vie à Lourdes. Que s’est-il passé ?

Quand j’étais maîtresse des novices, c’était compliqué et j’avais déjà émis le désir de rejoindre une fondation voulue par les deux présidentes fédérales (des monastères dominicains de France regroupés en deux fédérations, au Nord et au Sud) pour initier une communauté plus petite, plus proche des personnes, en réponse aux inspirations du Concile Vatican II pour le renouvellement de la vie consacrée. À la fin de mon service au noviciat, en 1979, j’ai pu rejoindre la communauté qui s’était formée dans l’Oise à la demande d’un évêque, mais pour des raisons de santé liées au climat la communauté a ensuite déménagé dans les Landes à Saint Martin de Hinx et j’ai suivi.

Q. C’était un autre mode de vie que dans un grand monastère ?

Pour moi, c’était la même vie : l’office, l’oraison, l’intimité avec le Seigneur, le travail, la vie de communauté, la mission. J’ai beaucoup aimé la vie fraternelle très intense en petite communauté. Nous étions plus proches des gens car la clôture était la campagne, les fidèles priaient avec nous, à côté de nous, et ils participaient à des groupes d’étude avec nous, selon leurs besoins, les demandes du curé et les capacités des sœurs. Nous avions des groupes bibliques, de la philosophie, de l’approfondissement de la foi… À Saint Martin, nous avons accueilli quelques vocations mais elles n’ont pas tenu et, en 1996, notre prieure est venue aider la nouvelle communauté de Dax pour la liturgie. Quelques années après nous l’avons suivie et nous avons ainsi renforcé la communauté, lui apportant ce que nous avions vécu auparavant. C’était une nouvelle fécondité. À Saint Martin, un prêtre et un diacre s’étaient rapprochés des prémontrés : une autre forme de fécondité spirituelle.

Q. Que souhaiterais-tu partager à une jeune femme qui s’intéresserait à la vie des moniales dominicaines ?

C’est la plus belle des vies, il y a tout dedans ! Il y a Dieu, des sœurs, la construction de soi-même, l’étude, la vocation missionnaire par toutes les personnes qui sont enseignées ne serait-ce que quand elles viennent prier avec nous.

Q. Maintenant tu vis à l’infirmerie, comment te sens-tu unie à la communauté ?

Cela fait 20 ans que je suis à l’infirmerie et je me suis bien habituée. Je prie l’office avec la communauté ou à peu près aux mêmes heures : le matin je suis à la tribune de la chapelle, je suis les vêpres de ma chambre par le haut-parleur et le soir je prie complies et l’office des lectures seule. Je me réveille très tôt si bien que j’ai beaucoup de temps pour prier, je ne souffre pas de la solitude, le Seigneur est toujours là. Et j’ai un planisphère et une mappemonde pour penser au monde et prier pour le monde entier. L’autre jour je priais un psaume en le traduisant en langage actuel, c’était très parlant ! Et puis je continue l’étude, non plus avec Saint Thomas car mes yeux sont fatigués, mais avec la radio. J’ai découvert France Culture avec laquelle je peux suivre 3 cours tous les matins après la messe : de l’histoire, de la philosophie ou des thèmes religieux. Le soir, je n’écoute pas, c’est un temps réservé au silence et à la prière.

Q. Veux-tu nous partager quelle est ton action de grâce pour ces 70 ans de profession ?

J’ai été heureuse partout. J’avais demandé au Seigneur de me faire une belle vie et j’ai été comblée, alors je lui dis : « Merci Seigneur, tu as bien fait toutes choses ». Mais je n’ai pas de formule toute faite, dans le domaine de la prière : liberté totale !

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