Moniales Dominicaines de Dax
Contemplata aliis tradere

Homélie du 9 mai 2024, Ascension

fr Philippe Jaillot op

Ac 1, 1-11 /ps 46 / Ep 4, 1-13 / Mc 16, 15-20

Le texte des Actes des Apôtres mentionne un événement. Celui que nous appelons « l’Ascension de Notre Seigneur ». Littéralement : « Ayant dit ce qu’il avait à dire, tandis que les apôtres le regardaient, Jésus fut élevé, et une nuée l’a soustrait de leurs yeux ». (Cf. Ac 1, 1-11)

L’événement lui-même n’est pas longuement décrit. Il n’y a pas beaucoup de détails. Mais il prend valeur d’enseignement, pour nous qui le rappelons aujourd’hui. Que tirerons-nous de cet événement ? Les deux hommes en blanc du récit viennent nous obliger à partir de la bonne question.

« Pourquoi restez-vous à regarder le ciel », demandent-ils ? D’après la question qu’ils avaient d’abord posée à Jésus, le texte peut laisser comprendre que les apôtres sont déconcertés. La restauration de la royauté en Israël leur échappe-t-elle encore ? La délivrance politique qu’ils attendaient de Jésus ne leur est-elle pas enlevée ?

Mais regarder le ciel, ce n’est pas seulement voir Jésus enlevé. Si c’est le mot que l’on trouve dans l’Évangile selon saint Marc (le Seigneur fut enlevé au ciel : Mc 16, 19), dans les Actes des Apôtres, on peut lire que les disciples virent Jésus élevé ! N’est-ce pas d’abord un juste réflexe d’émerveillement ? Ne devons-nous pas commencer par entrer dans une attitude d’adoration ? Celui qui est revenu à la vie, celui qui s’est présenté vivant à ses disciples, voilà qu’il attire nos regards vers notre destination ! Nous sommes faits pour la gloire, nous sommes faits pour le ciel. La belle expression « nostalgie du ciel » est de mise pour les chrétiens que nous sommes. Vous souvenez-vous de la prière que nous disions en commençant la messe ? Elle dit cela :

« Dieu tout-puissant, fais-nous exulter d’une joie sainte et nous réjouir dans une fervente action de grâce, car l’Ascension de ton Fils, le Christ, nous introduit déjà auprès de toi, nous, les membres du corps dont il est la tête, appelés à vivre en espérance dans la gloire où il nous a précédés. »

Si le regard des disciples vers le haut fera aussi l’objet d’une critique, il ne faut pas lui enlever sa dimension contemplative. Lorsque nous levons les yeux vers celui qui est élevé à la droite du Père, nous contemplons notre vie en Dieu, nous contemplons notre appel à la vie éternelle. Nous reconnaissons la grandeur du Christ, et la nôtre promise. Nous pouvons dire que l’Ascension, c’est le Christ qui monte au ciel pour nous, tout comme il était né en ce monde pour nous. Lui-même n’a rien à gagner, dans le mystère de l’Ascension, car Christ est Dieu : monter vers son Père ne donne pas un plus à sa divinité. L’Ascension est un gain pour nous. Elle est un gain pour l’humanité du Christ, c’est-à-dire la nôtre, car il a partagé notre humanité pour que nous partagions la sienne, c’est-à-dire humanité accomplie dans la vie divine. Donc, comme le dit la Tradition : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».

Pourtant je disais que ce regard vers le ciel pouvait laisser voir des disciples déconcertés tout autant qu’émerveillés. Creusons un peu plus cela. La libération politique qui semble s’évanouir avec le départ du Christ créa sans doute de la déception. Pourtant, au-delà de ça, j’ai pris conscience d’une autre raison que les disciples soient déconcertés lorsqu’un jour quelqu’un me dit : « Mais puisque Jésus est le Sauveur, on a du mal à comprendre pourquoi le temps ne s’arrête pas au moment où il quitte la terre. Pourquoi ne passons-nous pas tous dans l’éternité du salut, dans le ciel de Dieu ? »

Il faut bien voir, frères et sœurs, que lorsque Jésus est élevé, c’est l’œuvre de Dieu. Ce n’est pas de la magie et certainement pas de la grande illusion. N’imaginons pas le Christ claquant des doigts pour s’élever ! Je vous le disais, les récits sont très sobres sur ce qui se passa réellement. Ne nous en déplaise, le Christ ouvre plutôt une histoire. Le monde est plus que jamais à nous. L’Ascension marque le temps de la liberté et du risque, le temps de la maturité de la foi. La foi, entendez bien, c’est d’abord cet assaut de confiance en Dieu qu’hélas, certains ne parviennent pas à connaître. Dieu nous confie le monde et nous confie à nous-mêmes. Il nous confie à nous-mêmes notre liberté. En d’autres termes, si Dieu veut « partir », il ne faut pas le retenir. Mais plutôt nous mobiliser.

Les mauvaises langues pourraient bien dire : au bout du compte, c’est une entourloupe. Nous nous sommes fait avoir ! Pourtant, rien n’est pareil, et le fatalisme ambiant doit tomber, car le Seigneur précise bien qu’il n’a pas fait que passer. Dans le récit des Actes des Apôtres, il annonce que ses disciples « recevront une force quand le Saint-Esprit viendra sur eux ». Et encore, à la fin de l’Evangile que nous lisions, selon saint Marc, il y a cette belle parole étonnante qui appelle notre confiance : « Le Seigneur travaillait avec eux ». Même si le Ciel est notre destination, il y a d’abord quelque chose à faire ici-bas. Dieu soutient la création et le monde et notre humanité. Frères et sœurs, le Christ ressuscité, qui s’élève dans les cieux et qui va envoyer son Esprit Saint ouvre le temps de l’Eglise.

Il y a des moments où nous aimerions partir, nous aussi. Car la pression de la vie est parfois forte. Les fatigues, les contrariétés, le monde qui marche à l’envers. Mais Jésus fait de l’Ascension une fête de mission. « Vous serez mes témoins », dit-il à ses disciples. Et une fois que nous avons compris, lorsqu’il s’est élevé, que le ciel et la terre sont reliés, que Dieu et les hommes se sont intimement rapprochés, il invite à regarder de front le temps de l’Eglise. C’est le temps de la confiance et des responsabilités. Jésus, dans l’Evangile selon saint Marc, presse ses disciples à aller vers le monde. Ils auront à faire ! Nous avons à faire. Une fois que les disciples ont regardé le ciel, notre attention doit se fixer sur ceux qui restent. La vie qui est manifestée dans la résurrection du Christ commence à rayonner lorsque, par nous, le ciel vient encore rencontrer la terre. Est-ce que nous croyons que par son Ascension et avec notre mobilisation le ciel vient rencontrer la terre ? Et croyons-nous que la vie vient vitaliser l’encéphalogramme trop plat de tant d’histoires humaines ? Car Jésus a donné à ses disciples l’assurance qu’ils seront revêtus d’une force d’en haut, une force qui vient de l’Esprit Saint. 

A l’Ascension, Jésus montre le chemin que nous prendrons, nous qui sommes sauvés dans sa mort et sa résurrection. Cependant, l’Ascension en dit plus long. Elle nous dit, si nous venions à l’oublier, qu’être disciple du Christ ne nous fige pas dans le rôle de ceux qui suivent, mais que les disciples sont aussi ceux qui vont de l’avant.

Sans cesser d’être disciples, nous devenons apôtres.

C’est-à-dire, nous qui suivions le maître en nous appuyant sur son enseignement, nous sommes à présent envoyés et parés pour témoigner.

Jésus le dit : « Allez… ! ».

Et bien, allons.

Amen                                                                                 

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